RIVAROL : Dans votre dernier livre "Égarés" vous nous offrez un véritable trousseau de clefs pour ouvrir les portes dérobées de l'Orient compliqué et en ce moment, convulsionnaire. Vous apportez en effet des outils historiques et conceptuels inédits permettant de démonter la machine infernale idéologique et militaire qui est en train de ravager le Levant, notamment la Syrie. D'abord un mot sur ce conflit, qu'en dire, qu'en penser, que faire?
Jean-Michel VERNOCHET : Que dire de la Syrie ? Que la guerre aurait dû, en principe, avoir commencé ce samedi 31 août, hors de toute légalité internationale... Si Mister Obama ne s'était pas dégonflé à la dernière minute. Et c'est tant mieux ! Décision que les média, experts es euphémismes, appellent "temporiser" ! En fait une misérable reculade - dont évidemment, pour l'heure, nous nous félicitons — qui se superposera au dégoût qu'inspire déjà la classe politique euratlantiste, de Hollande à Obama via Cameron et sans oublier Martin Schulz... l'actuel prétendant au trône de Barroso, ci-devant président de la Commission européenne ! Obama pour se déjuger - se déculotter - de façon aussi pitoyable devait quand même avoir de bonnes raisons : une opinion majoritairement hostile à tout nouvel engagement militaire au Proche-Orient - idem en France, pays cependant où le peuple compte pour du beurre - et des militaires plus que réticents. D'abord parce que la Syrie n'est pas la Libye. Après deux ans de conflit, aguerrie, celle-ci devrait se montrer plus coriace, en outre l'incertitude demeure quant aux armes dont dispose Damas. Peut-être des missiles russes Yakhont, des armes supersoniques anti-surfaciers à longue portée ? D'autant qu'il existe un précédent : en juillet 2006 un missile antinavire du Hezbollah avait touché un bâtiment de guerre israélien, un mauvais souvenir. Dans la mesure où les Syriens disposeraient de tels engins, resterait à savoir si Moscou leur permettrait de les utiliser dans une offensive non terrestre et de courte durée... Et puis les Syriens auraient-ils l'estomac d'en user ? Bachar el-Assad n'est pas Bonaparte, c'est uniquement un ophtalmologue monté en graine dans les champs de ruines d'un pays ravagé.
Ajoutons que si Lavrov, le ministre des Affaires étrangères de Vladimir Poutine, a bien précisé qu'en cas de frappes américaines la Russie ne bougerait pas, la fermeté de Moscou face aux Américains est proprement impressionnante. Certes Poutine n'est pas non plus Genghis Khan, mais c'est un patriote et un politique averti qui se trouve le dos au mur : la Syrie est pour Moscou une ligne rouge à ne pas franchir. Pour quelles raisons ? Si la Syrie tombe dans l'escarcelle des oligarchies judéo-protestantes - en cheville avec les pétromonarchies wahhabites - c'en sera fait de l'Iran, avec ou sans guerre... et au-delà, c'est le Caucase qui tombera. Cela les Russes ne peuvent ni l'accepter ni le permettre, et ce, à aucun prix. Poutine, qu'il le veuille ou non, est donc condamné à faire front.
Récemment, fin juillet, le Prince Bandar, patron des Service de renseignements de Riyad, s'est rendu à Moscou pour y rencontrer le président Poutine. L'éminent Séoudien aurait proposé à l'homme du Kremlin le marché suivant : « Vous nous abandonnez la peau d'Assad, en contrepartie nous vous garantissons la pérennité de votre base navale syrienne de Tartous et la sécurité des Jeux olympiques d'hiver de Sotchi, lesquels s'ouvriront de facto sous la menace d'attaques terroristes de la part des islamistes radicaux tchétchènes »... Étrange marché, bien peu diplomatique, en forme de chantage à peine déguisé. Poutine ne s'y est d'ailleurs pas trompé y voyant l'aveu - cynique - d'un soutien au terrorisme tchétchène. Faut-il préciser que l'entretien russo-séoudien a rapidement tourné au vinaigre ? En conséquence de quoi, ces derniers jours, les chancelleries ont bruissé de la rumeur selon laquelle, en cas de tirs de missiles américains sur la Syrie, Moscou pourrait à son tour frapper des objectifs sur le territoire de l'Arabie séoudite... Effectivement de quoi faire réfléchir le Pentagone et engager la Maison-Blanche à "temporiser"'.
R. : Mais n'est-ce pas reculer pour mieux sauter ?
J.-M. V. : La réponse est renvoyée au 9 septembre et au vote du Congrès américain. D'ici là un peu d'eau aura coulé sous les ponts. La Conférence du G20 aura eu lieu les 5 et 6 septembre à Saint-Pétersbourg, mais comme d'habitude il ne devrait rien en ressortir de tangible. Quant aux résultats de la Commission d'enquête des Nations Unies sur la véracité d'une utilisation de gaz de combat à Gouda, à proximité de Damas, les résultats ne seront pas connus avant plusieurs semaines et, de toute façon, ne diront rien sur l'identité du présumé coupable. Le coupable désigné contre toute logique par les préposés à la diffamation géopolitique - les Fabius, les Hague, les Kerry - est Bachar el-Assad et nul autre... au demeurant les tambourinaires de la grande presse décérébrée et servile n'en sont pas à un mensonge près, rien ne leur fait moins peur qu'une contre-évidence de plus. Une accusation finalement qualifiée « d'absurdité totale » par Poutine quelques heures avant la décision d'Obama de surseoir aux frappes... Affirmation qui confirme d'ailleurs que le Russe « n'est pas un démocrate » sinon il ne mettrait pas les pieds dans le plat avec un tel manque d'élégance !
Pour revenir à votre question précédente, si l'attaque américaine intervient - ce qui semble pour le coup un peu moins sûr maintenant - ce sera sans doute une guerre des « 72 heures ». Une grosse salve de frappes ciblées destinée à affaiblir le régime à l'instar du picador qui saigne le taureau à son entrée dans l'arène. Au reste le Nobel de la Paix Obama ne devant pas totalement désobliger ses commanditaires, nous devrions nous trouver en fin de compte dans une situation semblable à celle du 17 décembre 1998... lorsque Clinton le parjure, empêtré dans les jupes maculées de Monica Lewinski et afin d'échapper à la procédure d'impeachment dont l'étau se resserrait à ce moment-là, ordonne des frappes dévastatrices sur l'Irak. Le seul problème est que nous ne sommes plus en 1998 avec une Russie dépecée par ses oligarques. Qu'à présent le monde unipolaire surplombé par la suprématie américaine n'est plus tout à fait le même. Or on sait toujours où commence un engagement militaire, on ne sait jamais ni où, ni quand ni comment il se termine...
R. : Mais une pluie de missiles de croisières sur les centres de commandement et de communication syriens est-elle, malgré tout, encore évitable ?
J.-M. V. : Oui et non ! Notez que de nos jours on ne fait plus la guerre par nécessité pressante, pour défendre des intérêts vitaux immédiats, mais uniquement parce qu'on a décidé de la faire. La formule est un peu lapidaire mais elle est reflète bien la réalité. En Syrie l'intérêt de renverser le régime ne peut se comprendre que dans le cadre d'une vaste stratégie régionale et globale à long terme... C'est ce dont on s'aperçoit dès que l'on s'écarte des prétextes humanitariens et des indignations vertueuses pour les cent mille morts - dans les deux camps rappelons-le - qui ont jalonné ces deux années de guerre.
Vous constaterez avec moi qu'au fur et à mesure que la tension s'accroît, les rangs de la coalition s'éclaircissent de plus en plus : exit le Royaume-Uni âme damnée de Washington avec la défaite du Premier ministre Cameron mis en minorité et désavoué dans ses propres rangs, ceux des Tories. Notons que chez les Anglais la guerre fait encore l'objet d'un vote à la Chambre, mais pas dans la France des Droits de l'Homme... Pays où le Secrétaire général du Parti au pouvoir, M. Désir, dénonce « l'esprit munichois » de ceux qui ne montrent pas assez de zèle à l'idée d'aller casser du nationaliste arabe. Pire, quelques audacieux commencent à trépigner pour obtenir un vote du Parlement après un débat prévu le 4 septembre !
Exit la Turquie pourtant en tête des ennemis déclarés du régime de Damas, soutien inconditionnel des Frères musulmans en Syrie, en Égypte et en Tunisie. Ankara a disparu des écrans radars ! Étrange non ? En fait la colère gronde au sein des masses turques lassées de l'islamisme envahissant du gouvernement Erdogan. À cela s'ajoute l'irréductible minorité alévi longtemps persécutée - principalement turkmène, représentant 10 à 20 % des 75 millions de Turcs — solidaire des Arabes alaouites de Syrie.
R. : Revenons à votre livre qui jette un éclairage focalisé sur les catastrophes en cours au Proche-Orient... et sur celles prévisibles qui frapperont une Europe victime de l'idéologie multiculturaliste et où le cauchemar d'une substitution générale de population se fait chaque jour plus oppressant.
J.-M. V. : L'Europe, hier encore chrétienne, rejette massivement et à juste titre l'islam que nous côtoyons et qui nous est imposé par les idéocrates d'un mondialisme niveleur, éradicateur de toutes les identités, notamment religieuse, autrement dit de tous les héritages. Cette mémoire collective effacée nous a fait oublier qu'au IXe siècle, Charlemagne se voyait remettre des mains du Calife abbâsside Haroun Al Rachid, par le truchement de son missi dominici à Bagdad, la protection des Églises chrétiennes d'Orient. Communautés aujourd'hui abandonnées en Syrie à la vindicte des djihadistes, ces brutes sanguinaires dont M. Hollande recevait à l'Élysée la semaine passée les représentants et commanditaires séoudiens et qataris.
Laissons ici de côté le vaste débat sur la progression de l'islam en Europe de l'Ouest. Débat qui escamote trop souvent les causes premières d'un phénomène particulièrement préoccupant mais qui en vérité en occulte beaucoup d'autres d'une gravité extrême. Si l'on veut comprendre ce qui se passe en Europe et ne pas tomber dans les pièges tendus - celui d'éventuels affrontements inter-communautaires - par ceux qui cherchent à exploiter à leur profit les peurs ou les angoisses légitimes que suscite l'islamisation de nos sociétés, il faut d'abord comprendre ce qui se passe exactement dans les pays du Printemps arabe. À ce propos, ne comptez surtout pas sur les gens de presse et leur cohorte d'experts pour vous en expliquer les tenants et les aboutissants.
R. : Mais en quoi cela nous concerne-t-il directement ?
J.-M. V. : En gros, les derniers événements d'Égypte, et ceux certainement à venir en Tunisie et au Maroc, les mobilisations populaires de Turquie, ne sont pas l'expression d'une simple opposition de modernistes et des barbus rétrogrades, de progressistes et de réactionnaires, de laïcs et de religieux obscurantistes. Une telle explication n'est bien entendu pas fausse, mais elle est insuffisante. Il faut admettre que les mots n'ont pas le même sens ici et là-bas : en Orient laïc ne signifie pas athée car les sociétés musulmanes, au contraire de l'Europe, sont encore profondément religieuses...
En bref, à l'heure actuelle, nous assistons au Maghreb et au Machrek à un combat de Titans entre deux "islams" antagonistes et même antinomiques. Le premier est l'islam traditionnel et populaire, lequel, c'est indéniable, a connu ses phases de fanatisme, de puritanisme, mais cela n'a jamais été au cours de l'histoire que la conséquence de poussées de fièvre spasmodiques, des accès en quelque sorte essentiellement conjoncturels. Le second, l'islam politique, le salafo-wahhabisme est lui structurellement fondé sur la violence... l'une de ses obligations majeures et cachées étant la conversion par la force, le fer et le feu. Ses premières victimes sont a priori les musulmans eux-mêmes lorsqu'ils ne pratiquent pas la nouvelle vulgate et sont à ce titre considérés comme des kafir, des mécréants. Le wahhabisme qui vise à détruire de fond en comble ce que nous avons nommé être l'Islam, traditionnel et populaire, est en un sens un "contre-Islam" !
Et c'est parce que le wahhabisme entend éradiquer l'ancienne religion et toutes autres croyances, qu'il saccage les mausolées des saints intercesseurs, abat les mosquées impies, tout comme il l'a fait pour les Bouddhas de Banian et le ferait demain pour les Pyramides s'il le pouvait... Du passé faisons table rase ! Entre l'athéisme forcené des Bolcheviques et le fanatisme wahhabite, la distance est mince, presque imperceptible. Là se trouve l'explication des grands carnages qui ont ensanglanté l'Algérie au milieu des années quatre-vingt-dix. C'est cet islam barbare — vide et négateur de tout contenu spirituel - qui tend à s'imposer graduellement dans le monde musulman, et demain chez nous si nous n'y prenons pas garde... Ceci avec la bénédiction des élites anglo-américaines !
La guerre gronde à nos portes. L'orage tourne autour de nous, l'horizon est couleur de plomb : hier la Bosnie, le Kossovo, l'Irak, la Libye, la Syrie maintenant. Constatons que nous sommes toujours dans le mauvais camp, celui qui se situe aux antipodes de nos intérêts les plus élémentaires. L'islam prétendument moderniste, en réalité fondamentalement rétrograde, que le Qatar promeut dans nos banlieues, à travers ses programmes « Young Leaders » - compléments et corollaires des programmes du Département d'État - prépare l'Hexagone communautarisé de demain, afin d'établir par la force injuste de la Loi, un multiculturalisme aussi utopique que meurtrier. Ce sont en effet Doha et Riyad qui financent la construction de ces mosquées qui ne seront jamais de simples « lieux de prière », mais des centres d'endoctrinement à l'islamisme radical et de recrutement pour les guerres périphériques. Notez que des centaines de jeunes ressortissants français issus de l'immigration - quelques milliers pour l'Europe - combattent déjà, à l'heure actuelle, en Syrie dans les rangs de la "rébellion".
R. : Comment est-ce arrivé et où cela conduit-il ?
J.-M. V. : Le Wahhabisme a commencé à se propager dans le monde arabe, à la fin de la Première Guerre Mondiale, sur les décombres de l'Empire ottoman, grâce aux armes et aux fonds de l'Empire britannique. En 1928 Londres finance en Égypte la créa-don de la Confrérie des Frères musulmans. À présent l'islamisme radical a fait alliance avec le grand capital cosmopolite et oligarchique qui règne dans les maisons mères de Londres et New-York... En février 1945 un "pacte" est scellé, au retour du Partage du monde à Yalta, entre Roosevelt et Ibn Séoud a bord du croiseur Quincy ! Quant aux autres, métastases de ce fléau, il serait trop long de les énumérer...
Un dernier mot, les masses arabes et musulmanes se sont soulevées et se soulèveront encore contre la tyrannie d'un wahhabisme devenu conquérant par la vertu des pétrodollars et de la Grande Amérique. Une fausse "religion" vidée de tout contenu spirituel avons-nous dit, mais en tous points compatible avec l'anarcho-capitalisme sans foi ni loi qui déferle sur la planète... un matérialisme dévastateur qui voyage dans les fourgons du malheur, ceux de la démocratie universelle. Dans les ruines de villes syriennes, les salafistes d'Al Nosra soutenus par l'Arabie, les Frères musulmans soutenus par le Qatar et la Turquie, sont en fait les missionnaires de cet horrifiant monothéisme du marché - si vanté et loué par le triste sire Attali - qui s'impose chaque jour davantage à nos vies et s'insère toujours plus avant dans nos existences. Aussi le combat des masses arabes, exaspérées et meurtries, contre une religion étrangère à ses traditions, à sa culture et in fine à sa Foi, ne doit pas nous être indifférent. Il doit même urgemment devenir le nôtre. Comprendre les enjeux des affrontements qui se déroulent sous nos yeux, au sud et à l'est de la Méditerranée devrait d'ailleurs nous aider à ne pas nous tromper d'ennemi.
Propos recueillis par Jérôme Bourbon. Rivarol du 5 septembre 2013
« Les Égarés » le wahhabisme est-il un contre-islam ? éditions Sigest, 157 pages. 15 euros. « De la Révolution à la Guerre... Printemps et automnes arabes » 522 pages - Les éditions de l'Infini - 61, rue du Jard - 51100 Reims.
Jean-Michel Vernochet : « L’islam radical, arme de guerre du cosmopolitisme mondialiste »
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